C'est parti pour un pavé. Comme toujours (quand j'écris pas en orange), ce n'est que mon avis.
Déjà, je rejoins Yusei sur "Serenity", où l'angoisse des héros est d'autant plus efficace qu'elle est exprimée par les deux personnages considérés comme les plus "durs et méchants" (Jayne et Zoé). Effectivement, quand le mercenaire bourrin et la guerrière stoïque commencent à flipper, tous les autres balisent.
Ensuite, j'ai l'impression que le problème décrit par Sephyroth est au moins en partie une question de style et -j'ai pas de meilleur terme- de
niveau de jeu. En particulier, la croyance dans le fait qu'un combat peut-être gagné "parce que le MJ l'a mis là" n'est pas intrinsèque aux joueurs, mais due à certaines habitudes de jeu et à une certaine ambiance autour de la table.
Notamment, ça signifie que l'immersion est pour le moins limitée : si on fait des efforts d'ambiance (non seulement dans les descriptions, mais aussi dans l'aspect "émotionnel" de la partie et l'implication des PJ, le méta-jeu peut disparaître en grande partie. Il y a aussi une question de scénarisation : si les joueurs pensent en termes de "possibilité technique" plutôt que de "possibilités narratives", c'est souvent parce que le MJ laisse trop transparaître les premières à travers les secondes. Si l'histoire a vraiment sa logique propre, elle devrait finir par absorber ou "voiler" entièrement les questions techniques.
En gros, la fiction repose sur ce qu'on appelle "
la suspension de l'incrédulité" : pendant le temps de la narration, si l'immersion fonctionne suffisamment, vous devriez arrêter de penser en termes de "réalité objective" pour admettre la "réalité subjective de l'histoire" et donc réagir (un peu) comme si les dragons existaient ou que vous risquiez vraiment de vous prendre une balle en sortant à découvert pendant la fusillade. Évidemment, comme contrairement au cinéma ou aux belles histoires d'Oncle Georges, on passe son temps en jdr à s'interrompre pour lancer des dés, compter des trucs, reprendre un gâteau... et ça complique un peu l'effet de "suspension" (mais, théoriquement, l'interactivité elle-même augmente l'immersion, donc ça peut se compenser avantageusement, en théorie).
En tous cas, si la question de la fuite se pose, c'est bien qu'on est dans une histoire où la mort des héros est possible (sinon, ben... pourquoi fuir, en effet ?). Et si on applique cette logique interne de manière cohérente, c'est à dire qu'un perso peut vraiment mourir au combat (même sans avoir fait de connerie : juste parce qu'il a affronté un trop gros morceau), normalement, la tension dramatique, donc la trouille, donc l'idée de la fuite reviennent toutes en même temps.
Personnellement, j'ai tendance à mener "gritty", je saute donc sur toutes les occasions de massacrer un PJ avec l'assentiment du joueur ("je dois arrêter la campagne... _alors ton perso va mourir", "j'aimerais bien essayer un autre personnage... _alors ton perso actuel va mourir", "je vais plus pouvoir participer pendant au moins 4 mois... _alors si ça te va, ton perso va mourir et t'en refera un autre au retour", "je serai pas là la prochaine fois, j'avais oublié de te prévenir... _alors ton perso va passer la séance entre la vie et la mort"). De plus, le système de jeu implique qu'on joue les combats de manière "ouverte" (les joueurs voit mes dés et les jetons qui représentent à la fois l'état de santé et la force des adversaires), j'ai des moyens de montrer "grossièrement" le danger (une grosse pile de jetons pour un gros monstre, généralement j'en profite pour poser les pions de poker sur la table avec un gros bruit sourd) et les joueurs ont pu vérifier qu'ils peuvent vraiment mourir chaque fois qu'ils prennent des risques vitaux, ce qui arrive en fait assez souvent.
A titre d'exemple, je reviens souvent à un début de campagne play-test où, les joueurs connaissant encore mal le système, il m'était nécessaire de situer les risques encourus et de rendre la mort palpable pour installer l'ambiance :
le premier combat des PJ a donc été une grosse fusillade à l'arme automatique dans un petit pavillon forestier, y avait des pruneaux qui volaient partout, on a massacré le décor, j'y ai été de bon cœur sur les détails gore et -après s'être donné un mal de chien, avoir employé au mieux leur matos et avoir dépensé plusieurs fois des "points d'histoire" pour sauver leurs perso (et ainsi vidé leur réserve)- j'ai massacré une 12aine de PNJ et le groupe a fini avec un mort (un joueur voulait changer de perso, j'ai sauté sur l'occasion), deux blessés graves et deux blessés légers.
Il a fallu soigner tout le monde (ça n'a pas été facile), rassembler les cadavres (hop, une deuxième couche de gore), évaluer les pertes matérielles... et tout ça leur a permis de bien prendre conscience du fait que lorsqu'on balance plusieurs centaines de bastos dans un combat, forcément, y a du dégât. Le chef du groupe a finalement passé un tiers de la campagne une jambe dans le plâtre.
Depuis, ils font bien gaffe avant d'aller au baston, préfèrent souvent négocier ou esquiver la confrontation et n'excluent jamais la fuite.
De la même manière, je pense à la série télé "Spooks" (ou "MI5"), connue pour éradiquer la majorité du casting toutes les deux saisons : hé ben c'est tout con, mais on a donc des héros qui passent leur temps à prendre plein de risques vitaux, les scénaristes s'appliquent à nous les rendre attachant (notamment parce que les héros ont souvent peur) et, tous les 3-4 épisodes, y en a un qui crève de manière généralement horrible, ce qui donne souvent lieu à ensuite une scène d'enterrement ou de veillée funèbre pour souligner l'effet de deuil. Ça donne tout de suite de la tension à toutes les scènes de danger...
Donc, à mon sens, cette question du "refus de la fuite" peut au moins se régler...
_de manière technique avec un système qui permette d'évaluer les forces et les risques, de faire progresser le danger avec les dommages, de gérer la fuite, voir de la rendre intéressante si on passe en mode "poursuite",
_en ré-introduisant la réalité du danger, donc au bas mot le risque de blessures vraiment "graves" (par leurs conséquences), de mutilation (c'est une peur en soi) et probablement de la mort de PJ,
_par la mise en scène en représentant l'ennemi comme tellement balaise, agressif et méchant que la fuite redevient la meilleure option, en recourant à la trouille des PNJ, et éventuellement à leur fuite, leur mutilation et à leur mort,
_par un effort global de "narration" et d'émotion qui fasse disparaître la technique derrière l'histoire, notamment en soulignant encore une fois la peur et ses variantes, mais aussi la douleur, les sacrifices...
_par un scénario qui souligne le danger, sa progression et sa probable invincibilité (si ça peut aider, j'avais fait
un article sur les monstres, un peu avant l'âge du bronze environ)